
D’énormes poids lourds étaient alignés côte-à-côte et sa vieille 206 n’osait pas s’approcher.
« Hein, gros ? On sait jamais, elles peuv’ s’ réveiller ces bêtes-là. »
Jetant ses dreadlocks un peu pègue en arrière pour se rassurer, Julien … ou plutôt Bob, car tout le monde l’appelait Bob depuis le collège, c’est venu comme ça, sans savoir pourquoi, il n’avait pas encore de dreadlocks à cette époque, il n’écoutait pas trop de reggae, encore moins du rap, et il ne savait même pas qu’on pouvait fumer des pétards, ni tout le reste. Maintenant il sait. Il sait tout, ou presque.
Alors, jetant ses dreadlocks en arrière pour se rassurer, Bob décida de garer sa gova – T’ comprends pas ? T’es vieux alors – derrière l’aire de repos où quelques chiens pissaient paisiblement contre les arbres.
C’était bien l’ambiance sur un parking de l’autoroute du Sud, à midi, en direction de Monaco. Il apercevait des piqueniqueurs qui avalaient leurs sandwichs triangulaires au goût plastique d’emballage. D’autres sortaient maladroitement des hamburgers dégoulinants de leurs boîtes polystyrène en se mettant du ketchup bien rouge un peu partout.
« C’est pas top, hein ? »
A l’écart, un gros cinquantenaire à cravate aux cheveux parsemés, et gras, tirait avidement sur sa cigarette comme si sa vie en dépendait. La fumée contagieuse traversait les vitres fissurées de la 206 encore fatiguée de sa dernière teuf. Chatouillant les narines de Bob, elle lui donna encore plus envie de s’en faire une, lui aussi.
Avant d’ouvrir la portière, Bob attendait calmement la fin de « Journal perso 2 » de Vald, rappeur fétiche des moins de 30 ans, complètement inconnu par les autres, pendant que ses doigts roulaient le papier autour du tabac.
« T’ connais pas Vald ? T’es vieux alors ! Assume, fais pas semblant. »
Les boums boums faisaient vibrer les vitres au risque de les faire exploser en mille morceaux.
« Gros, impossibl’ d’couper ça ! »
Toute l’aire de repos en profita, malgré elle. Comme toujours quand un djeun écoute sa musique reconnue débile par les moins djeuns.
«Gros, sinon, c’est pas la peine.»
« Surtout là, à fond la caisse à faire tomber les oreilles… et les filles ! »
«Ouais, j’conjugue au passé simple, passe-moi l’feu, la lumière va s’éteindre….».
Une fois sorties ses jambes trop longues de sa 206, les mains de Bob se mettaient machinalement à la recherche. Alors qu’il fouillait d’abord les poches de sa veste aux couleurs de l’OM, puis de son jogging aux mêmes couleurs ciel et blanc, un grondement inimitable derrière lui attirait toute son attention en un temps record.
Bob sentit son cœur battre au rythme viril du moteur de la légendaire Porsche 911 Carrera. Pas besoin de se retourner pour voir sa silhouette mythique aux deux phares tout ronds. Moteur boxer installé à l’arrière. 370 CV. Accélération à 100 km/h en 4 secondes.
« Quelle gamos gros ! »
S’imaginant déjà au volant de cette même voiture, version cabriolet, entouré de quelques belles auto-stoppeuses aux longues jambes et les cheveux dans le vent, le claquement sec d’une portière coupa son rêve de beau gosse.
En se retournant, Bob aperçut un petit sac à mains garni de caractères chinois. Il l’avait déjà vu lui semblait-il, ce même sac étrange. Et sans savoir pourquoi, il se revoyait assis dans le petit café de son village, boire une noisette et se préparer une clope pour aller la fumer dehors. Il se revoyait la reconnaître, cette même femme aux yeux timidement bridés qui commandait aussi une noisette, mais sans sucre.
Perdu dans ses souvenirs, il avait du mal à revenir à la réalité, n’entendait pas vraiment le « Fuck you, you fucking asshole ! » que la si élégante Verena Yong crachait alors qu’elle s’éloignait d’un pas décidé de la carrera flambant neuve.
Puis un « Scheiße » vigoureux a fini par faire apparaitre l’idole suprême de Bob dans son présent réel. « Scheidi », ou plûtot Rim Scheidmann, triple champion du monde en formule 1, élu meilleur pilote de tous les temps, poursuivait là devant lui, sur ce parking pourri de la station-service encore plus pourrie, la plus que belle Verena Yong, actrice principale de la dernière Palme d’or, sans pouvoir la rattraper.
« Eh gros, tu l’ crois toi ? »
« Les loisirs de la haute sont particuliers
Viens voir la vie qu’on peut pas diffuser »